Itinéraires chaotiques de mendiantes battantes
(Syfia/CRP) À Brazzaville, près des pharmacies, des supermarchés ou des arrêts de bus, des femmes, parfois accompagnées de leurs enfants, font l'aumône. Elles sont méprisées par les passants, parfois même violées. Leurs histoires sont tragiques, mais elles ont souvent en elles une volonté intacte de faire autre chose de leurs vies.
"Je suis logée chez une amie. Pour me nourrir et m'occuper de mes deux enfants, je demande de l'aide." La main tendue devant l'Institut français du Congo (ex-CCF) de Brazzaville, Germaine*, la trentaine, est dans la rue depuis deux ans. Ce quotidien est pour elle tout sauf un choix... Séparée de son conjoint, elle a été recueillie après sa seconde grossesse par sa belle mère. "J'y ai passé un an. À sa mort, je suis repartie chez mon père, mais avec sa femme, c'était la guerre. J'ai quitté la maison et je me suis retrouvée à la rue…" Elle poursuit : "Au début, chaque soir, je rentrais en pleurs, car les gens m'insultaient après m'avoir donné 100 Fcfa (0,15 €). Aujourd'hui, je suis 'vaccinée'. J'espère sortir de là à la fin de l'année et commencer un commerce", envisage la jeune femme. À Mavré, pharmacie du centre-ville, nouvelle rencontre avec une mendiante déterminée à faire bientôt autre chose de sa vie. La trentaine révolue, Jeanne * est venue avec son copain dans la capitale pour vendre leurs haricots, mais celui-ci s'est épris d'une autre. Logée de temps en temps par l'une ou l'autre amie, Jeanne n'a, elle non plus, pas encore trouvé l'argent pour se lancer dans la coiffure, activité qu'elle a longtemps exercée à Nkayi (à 300 km environ à l'ouest de Brazza). À ses côtés, une autre jeune femme tient en mains une ordonnance froissée. Elle la tend aux passants qui prennent à peine connaissance de son contenu avant de jeter avec mépris 50 à 200 Fcfa (0,07 à 0,30 €). Cette jeune femme est dans la rue depuis six mois, à la suite du décès de son frère qui l'avait recueillie. Elle squatte parfois chez des amies. Originaire de la Bouenza (sud du Congo), elle déclare : "L'argent que je gagne me permet de me nourrir. Le reste, je l'épargne pour repartir dans mon village." Ayant pour seul diplôme un CEPE (certificat d'études primaires et élémentaires), elle souhaite y rentrer pour se consacrer à l'agriculture. Précarité, injures, viols Plusieurs facteurs poussent ces femmes à aller dans la rue selon Omer Mahoukou, de l'Union pour l'étude et la recherche sur la population et le développement, ONG qui recueille des données et analyse la situation : "Ce n'est pas un fait nouveau, mais il prend de l'ampleur depuis une dizaine d’années. Avant, c'était des femmes seules et en majorité infirmes qui mendiaient. À ce jour, même celles qui peuvent se débrouiller demandent de l'argent (…).Certaines ont perdu l'esprit d'initiative et préfèrent la facilité." Une attitude qu'Omer Mahoukou et Eugène Mouanga de l'Association des jeunes sociologues expliquent par "la crise financière nationale, avec le manque de ressources et le coût élevé de la vie. À cela s'ajoute la perte de valeurs morales. Jadis, mendier était un acte humiliant, aujourd'hui, c'est devenu une activité lucrative pour certaines qui se retrouvent en fin de journée avec au moins 5 000 Fcfa (près de 8 €)", jugent-ils. Dans la population, nombreux sont ceux qui les jalousent et estiment qu'elles font ainsi fortune. "Elles profitent de la gentillesse de leurs bienfaiteurs pour se remplir les poches ! Elles n'ont qu'à vendre au marché comme les autres !", estime un passant peu conciliant. "Elles vivent dans la précarité et sont victimes d'injures, parfois même de viols. D'autres hommes tirent profit de leur vulnérabilité en obtenant d'elles des relations sexuelles contre un repas ou un logement temporaire", déplore pour sa part un agent du ministère des Affaires sociales qui a requis l’anonymat. "Plusieurs se retrouvent enceintes dans la rue et ignorent leur statut sérologique…", ajoute Omer. Estelle*, la vingtaine, a ainsi été violée il y a deux ans après avoir reçu 500 Fcfa (0,75 €) d'un inconnu. Elle n’a pas porté plainte : "Qui peut me croire ? Certains ont dit que je n'avais eu que ce que je méritais !" Pour tenter d'améliorer leur sort, Omer suggère que "le gouvernement commence à les identifier, puis leur offre la possibilité d'exercer un métier." Ce à quoi, l'agent du ministère des Affaires sociales précédemment cité répond : "Nous étudions chaque demande au cas par cas. Ce n'est pas une tâche facile, car elles sont éparpillées et changent tout le temps de lieu. Par ailleurs, certaines repartent dans la rue dans l'espoir de gagner facilement leur vie." Un espoir généralement rapidement déçu…
Annette Kouamba Matondo Juin 2011
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